Mourn Baby Mourn

© Hélène Robert

Danse-performance, conception et danse Katerina Andreou – au Centre Georges Pompidou, dans le cadre du Festival d’Automne.

C’est un solo habité qu’elle danse, enfermée dans les murs invisibles de sa mélancolie. Katerina Andreou travaille la matière comme on pétrit une pâte, tiraillée entre deux options : l’abattement et l’allégresse. Sa gestuelle est singulière et magnétique. Elle essaie de bâtir ? Sitôt elle déconstruit. Elle tente l’envolée ? Bientôt elle retombe. Elle est dans l’exaltation ? Elle titube dans ses pensées négatives. Elle voudrait ? Elle ne peut. Elle saurait ? Elle s’immobilise. Elle rencontrerait ? Elle s’isole.

Au pays de Katerina Andreou il y a de la poésie, de la fantaisie, du désir et du non-désir, de la colère et de la douceur. Le geste est vain, le geste est plein, il n’est rien, dans le doute, il est tout, dans la colère et la provocation. Le geste est ritournelle, il est récurrence. Il s’inspire de l’univers de l’écrivain Mark Fisher, de ses pensées en philosophie politique, musique et culture populaire. Sans doute se souvient-elle des danses traditionnelles qui se pratiquaient dans les fêtes de village, dans la région de l’Épire au nord de la Grèce où elle passait les étés chez son père.

© Hélène Robert

L’espace scénique est cerné de néons posés au sol, quelques parpaings ici et là qu’elle manipule comme un forçat, sur un écran justement érigé en parpaings défilent des mots-clés comme tentatives de résoudre les énigmes du monde, de son monde. Ces mots projetés comme un flux et un reflux, déclaration, manifeste ou séries d’onomatopées, ajoutent au trouble. Katerina Andreou construit sa dramaturgie sur les bases incertaines du monde d’aujourd’hui et dans l’hypothèse de celui de demain. Autant dire qu’elle se débat dans le magma et la confusion d’un passé révolu et d’un futur incertain.

Dans Mourn Baby Mourn l’artiste remet en jeu ses utopies, se questionne sur la capacité et le sens de la création et semble tourner en rond dans un certain désespoir. Elle fait les cent pas, jette jambes et bras dans l’abandon de toute raison et lance ses fusées de détresse. Elle a de l’énergie, se jette à corps perdu, bouillonne et s’abandonne dans le flouté de territoires inconnus. Elle porte short et chaussures souples de boxeuse, devient animale, rend visible son invisible, véritable questionnement, actuel et brûlant, sur l’avenir.

Danser, écrire, se perdre, repousser le réel, se glisser dans les entre-deux d’un flot ininterrompu de pensées philosophique, chorégraphique et artistique, se rouler dans la confusion des sentiments, du monde, de la vie, d’elle-même, tout en gardant une certaine fraîcheur, est un acte funambule. Profonde et légère, elle expérimente, portée par un univers musical qui l’inspire, vents, souffles, répétitions, silences, rythmes, percussions, bourdonnements (création sonore du compositeur chilien Cristian Sotomayor). Elle partage en même temps qu’elle reprend, entre don et contre-don. Derrière ses propositions gestuelles et chorégraphiques, la Grèce où elle est née au début des années 80, peu de temps après la fin de la dictature, reste présente. Derrière son manifeste intime se profilent les archétypes de sa culture comme l’esprit des lamentations que porte le théâtre grec, la religion et la société.

© Hélène Robert

Katerina Andreou a rencontré la danse dans l’enfance, un peu par hasard et n’a pas été tout de suite séduite. Elle s’y est ensuite passionnée, s’est formée en Grèce à l’École nationale de danse d’Athènes, après avoir été titulaire d’un diplôme de l’École de droit. Elle a notamment collaboré avec DD Dorvillier, Anne Lise Le Gac, Lenio Kaklea, Bryan Campbell, est venue en France où elle s’est établie à Lyon et a obtenu le mas­ter en créa­tion cho­ré­gra­phique du Centre Natio­nal de la danse contem­po­raine d’Angers – programme Essais – diri­gé par Emma­nuelle Huynh. Elle a créé un premier solo, A Kind of Fierce, qui a reçu le prix Jar­din d’Europe 2016 au fes­ti­val Impuls Tanz de Vienne, suivi d’un second solo, BSTRD en 2018. Pour contrer la solitude imposée par le Covid en 2020, elle a imaginé un duo avec Natali Mandila, Zeppelin Bend basé sur l’amitié. Créé en 2022 aux Subsistances de Lyon – les SUBS, Mourn baby Mourn est son troisième solo.

Elle travaille en France et est artiste asso­ciée au Centre cho­ré­gra­phique natio­nal de Caen en Nor­man­die jusqu’en 2025, où elle poursuit son observation sur la vie d’aujourd’hui, l’époque qu’elle traverse et dans laquelle elle s’inscrit. Comme une alchimiste, elle transforme mélancolie et désarroi en acte artistique dans lequel pensée et chorégraphie mènent le bal.

Brigitte Rémer, le 24 octobre 2023

Conception et performanceKaterina Andreou – son, Katerina Andreou et Cristian Sotomayor – lumières et espace, Yannick Fouassier – texte, Katerina Andreou – regard extérieur, Myrto Katsiki – vidéo, Arnaud Pottier. Remerciements, Natali Mandila, Jocelyn Cottencin, Frédéric Pouillaude. Production, diffusion BARK/ Élodie Perrin. En tournée, le 9 avril 2024 au CCAM / Scène Nationale de Vandœuvres-les -Nancy.

Vu le 30 septembre 2023, au Centre Georges Pompidou, Paris – Dans le cadre du Festival d’Automne. Coordonnées au Centre cho­ré­gra­phique natio­nal de Caen en Normandie / direction Alban Richard – site : www.ccncn.eu – Festival d’Automne à Paris, site : www.festival-automne.com – tél. : +33 (0) 1 53 45 17 17.